Culte chaque dimanche à 10h30
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Pasteur sous les étoiles : Olivier Putz, aumônier protestant au cœur des armées françaises

Entre foi, devoir et humanité, le pasteur Olivier Putz nous raconte son expérience d’aumônier militaire. Une mission à la fois spirituelle et profondément humaine, là où l’Evangile s’incarne en une réalité quotidienne.

L’aumônerie militaire est une institution ancienne, née sur les bateaux de Colbert et consolidée au XIXᵉ siècle, notamment lors de la guerre de Crimée. La Loi de 1905, bien que prévoyant la séparation de l’Église et de l’État, a maintenu des aumôneries dans les armées, les hôpitaux, les internats et les prisons. Le principe est simple : tout citoyen servant l’État doit pouvoir exercer librement sa foi. C’est donc son lieu de culte qui vient à lui / à elle. Les aumôneries militaires sont présentes dans les quatre grands corps que sont l’armée de terre, la marine, l’armée de l’air et la gendarmerie.

Pasteur de l’Église protestante unie de France, Olivier Putz a été détaché trois ans pour servir dans l’armée française en tant qu’aumônier militaire. Cette période lui a permis d’aller plusieurs mois en opération extérieure au Niger. Il nous confie son rôle, son ressenti et surtout ce que l’armée permet de faire vivre à la spiritualité, un vrai chemin d’incarnation.

Quels rôles, missions, fonctionnements spécifiques sont attribués à un aumônier des armées ?

Les principaux rôles de l’aumônerie sont :

  • D’être présent auprès des coreligionnaires (croyants ou non)
  • De veiller au bon moral des troupes : vivre au côté des soldats, être une oreille attentive dans les moments de joie mais aussi dans l’anxiété, la solitude, le doute
  • D’être une aide au commandement au niveau du moral des troupes ou sur les décisions prises. (On peut se plaindre, commenter des décisions auprès d’un aumônier, pas auprès de sa hiérarchie)

Les missions de l’aumônier trouvent particulièrement leur sens lorsque nous sommes sur le théâtre des opérations, en OPEX (Opération Extérieure). Loin de la famille, avec une promiscuité permanente, dans des zones de conflits. Ce sont dans ces moments bien spécifiques que l’aumônier qui représente la parole, l’humain, un accès au spirituel, parfois jamais envisagé, permet de déployer toute son utilité.

Au sein des armées, à quoi reconnaît-on un aumônier ?

Un aumônier a un galon bien spécifique, celui du rameau d’olivier, une manière de ramener la paix au milieu de la guerre. Les protestants ont une croix évidée adjointe au rameau d’olivier; pour les catholiques la croix est pleine; les musulmans ont eux un croissant de lune, tandis que les juifs ont les tables de la loi.

La salutation à l’autre est également très codifiée à l’armée. Pour les aumôniers, la règle du galon « miroir » s’applique. Cela signifie que si un capitaine me salue, il me dit « Monsieur l’Aumônier », je deviens automatiquement capitaine. Ce codage facilite la relation à l’autre, cela nous met exactement sur un pied d’égalité, d’altérité à l’autre, très utile pour les cadres mais surtout pour les soldats du rang, qui n’ont pas toujours les mots, l’éducation pour nous parler. « Je me suis fait tout à tous » (1 Corinthien 9,22) prend tout son sens pour un aumônier de l’armée, c’est comme une incarnation de l’Evangile.

Que s’est-il passé au Niger pendant ton OPEX ?

J’ai eu la chance de partir en OPEX pour 4 mois au Niger. Dans un premier temps, la situation était normale puis il y a eu un retournement d’alliance et un putsch. La mission fut donc très intense, aussi fatigante qu’éprouvante… Le théâtre des opérations, c’est une adrénaline permanente, les hommes doivent mettre en pratique la formation acquise dans un univers de paix où tu rentres le week-end chez toi après avoir « joué au soldat » pendant la semaine. L’engagement est très différent quand tu es sur le terrain, tu dois être en permanence dans ta mission.

La base aérienne de Niamey comptait environ 1’000 soldats et plusieurs postes avancés aux frontières. Ces derniers devaient être approvisionnés quotidiennement en eau, nourriture, médicament par la route ou par hélico (dont les places sont très chères 😉.

Au Niger, le désert, le sable et le soleil sont omniprésents, cela donne une forme de sobriété sauvage, rugueuse. La nuit, c’est l’éclat des étoiles et la pureté du noir qui abordent tout, qui nous envoutent littéralement. On vit au rythme de la base dans un univers sauvage, loin de tous nos repères de continentaux, il faut s’adapter, se retrouver.

Le premier mois sur place, j’ai surtout observé, écouté, rencontré « mes ouailles protestantes », mais pas seulement. Cette période était pour moi un temps de découverte, de rencontre, un temps de compréhension de l’univers du terrain, des décisions, des mouvements. Ce fut un temps pour se faire (re)connaître également en tant qu’aumônier mais aussi dans ma singularité. Je suis quelqu’un qui aime profondément la rencontre, la découverte de l’autre, croyants, non-croyants, j’aime l’humain dans toute sa dimension.

Sur le terrain des opérations, la relation à soi se transforme, comme s’il devenait impossible de se cacher derrière des préjugés, des faux-semblants… Le désert, la frugalité de la nature, la rusticité des lieux… tous ces attributs nous ramènent à une forme d’épure, à un fondamental devenu inaccessible sur le territoire national. Par ricochet, la relation à l’autre se transforme aussi, elle est plus en vérité : les masques personnels tombant, les langues se délient. Surtout lorsque tu vas à la rencontre de l’autre, que tu cherches à te mettre dans la relation, le dialogue se construit, le témoignage vivant de l’Evangile s’incarne alors dans ce lien…

Un de tes souvenirs marquants de cette période d’OPEX ?

Difficile de n’en évoquer qu’un seul, cette expérience a été tellement incroyable humainement… Je suis parti plusieurs fois sur le terrain pour accompagner les soldats en dehors de la base. Lors d’une expédition sur un poste avancé à la frontière du Mali, je suis resté quelques jours avec les soldats, pour être présent auprès d’eux, pour amener une écoute attentive au cœur de l’action. J’avais mis un réveil au milieu de la nuit, vers 3h, pour aller soutenir les gardes qui se relayaient la nuit. Le temps fut suspendu lors d’un échange avec un soldat – très jeune – qui n’avait jamais reçu une telle attention de la part de qui que ce soit. Chaque soldat est en attente de reconnaissance, lui ne l’avait vraisemblablement jamais eue; il était tellement touché par l’attention que je lui portais, par cette écoute. Nous avons longuement évoqué sa vie, son enfance, il n’avait jamais eu l’occasion de réfléchir à sa foi, à la spiritualité ; et là, au cœur de la voute étoilée du Sahel, il a pu l’évoquer, y réfléchir. On ne sait jamais ce que l’on sème… mais ce qui est sûr, c’est qu’il ne serait jamais venu au temple. C’est donc l’Eglise qui est venue à lui au cœur de la nuit.

De mon passage aux armées, ce sont toutes ces rencontres en vérité que je garderai au fond de moi comme un trésor.

Justement, comment partager la parole sur le terrain ?

Il y a de multiples façons d’amener l’Evangile et la parole au cœur du théâtre des opérations. Pour moi, vivre l’Evangile était en premier lieu d’être une présence bienveillante pour chacun, quel que soit sa confession, sa croyance. Il me semblait important que le pasteur propose un espace d’écoute, et que le soldat en dispose, ou pas. Les temps de recueillement et de prière pouvaient être assez agiles, faciles à organiser. Naturellement, je proposais aussi des cultes.

Les soldats sont avides de présence, avides d’être reconnus dans leur rôle, dans l’utilité de leur mission en tant qu’humain. Je me suis mis dans le moule d’un partage d’une tranche de vie avec les soldats en mode agile, ouvert, bible dans la poche, totalement inclusif.

Un pasteur avec une arme, est-ce compatible ?

La dotation de base d’un aumônier comprend une arme, un pistolet automatique à porter sur soi. En fonction de sa conscience, l’aumônier l’accepte ou pas. Certains disent que « des mains ne peuvent maudire et bénir »… d’autres considèrent que cela permet de (se) défendre en cas d’attaque. L’Eglise protestante n’impose pas de décision à ce sujet. Chaque chrétien pourrait être également amené à se poser cette question, « suis-je en droit de porter une arme? ».

Si tous les êtres humains étaient chrétiens, s’ils avaient tous choisi de recevoir Jésus-Christ dans leur cœur et de vivre la non-violence, on n’aurait plus besoin de policiers, de soldats, de juges… Malheureusement, le royaume n’est pas encore arrivé : lorsque « tout genou fléchira devant christ » (Philippiens 2:10), il sera possible de mettre les armes de côté, pour l’instant ce n’est pas le cas.

En théologie luthérienne, la Loi et l’Evangile dialoguent, la force de la Loi est là pour les peuples. Les policiers nous protègent dans la rue, les soldats nous protègent dans les opérations extérieures. La distinction n’est pas entre la violence et la non-violence, mais entre la force et la violence. Seule la force peut arrêter la violence. La force des alliés pendant la seconde guerre mondiale face à la violence hitlérienne en est un bon exemple. Donc je n’ai pas de problème à porter une arme dans ce cadre, pour défendre mon camarade, pour montrer la force contre la violence. Sans oublier que l’utilisation de la force ne répond qu’à un ordre donné, et dans l’armée, c’est essentiel.

Que souhaiterais tu dire à un(e) pasteur(e) qui hésiterait à devenir aumônier des armées ?

Allez vivre en vérité cette expérience unique !

Cette mission est un accès privilégié à la société française dans son entièreté, un brassage sociologique unique qui permet une meilleure connaissance de l’humain, de son âme, de ses aspirations comme de ses tourments. Cela permet aussi un dialogue en vérité grâce à la discipline militaire. Chacun devant saluer l’autre, devant respecter l’autre, la discipline militaire permet un vivre ensemble qui autorise la rencontre avec des gens différents de soi; différents par le milieu social, par la croyance, par l’histoire, par le vécu… Mais aussi qui oblige celui qui voudrait t’ignorer (ou te mépriser). Cela permet aussi de sortir d’un entre-soi parfois confortable, parfois un peu pauvre… Pour un pasteur, c’est une véritable opportunité de se dire que grâce à une codification exigeante et ferme, la rencontre 360° est possible, ne serait-ce pas comme l’Evangile ?

Et surtout, dis-lui qu’il, qu’elle m’appelle 😉