Culte chaque dimanche à 10h30
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« Israël a aimé ses ennemis »

Le 30 novembre, le théologien Dany Nocquet, est venu, à l’occasion d’un culte-conférence, évoquer son livre « Israël a aimé ses ennemis : Bienveillance et reconnaissance dans l’Ancien Testament ». Extraits de son intervention.

Yahwisme éléphantin

« L’Ancien Testament, véhicule une image d’Israël combattant et commettant nombre d’actes de cruauté. Au regard de cette image d’Israël opposé aux autres, j’aimerais vous montrer combien il a existé une autre manière de vivre la foi yahwiste, notamment à Éléphantine en Haute Egypte. Et combien l’Ancien Testament développe aussi une compréhension différente d’Israël, paisible avec les autres et dans leur relation à Dieu, ainsi que le montre le cycle de Joseph dans la Genèse.

Éléphantine, nom grec d’une île sur le Nil, en face de Assouan en Haute Egypte, au Sud, constitue une communauté juive étonnante et diverse. Une communauté yahwiste, centrée sur le culte de Yaho du 6ème au 4ème siècle avant notre ère. Des recherches récentes permettent de mieux connaître l’identité plurielle de cette communauté juive et son yahwisme différent (papyrus Amherst 63). Bien souvent l’image assez homogène du judaïsme à l’époque postexilique est celle d’une religion qui se structure autour de la pensée du Dieu unique, de la Torah et du temple de Jérusalem. Cette image est à nuancer. 

Différentes ethnies sont implantées à Eléphantine. Des communautés de différentes nationalités étaient, par exemple, engagées à Eléphantine dans un même corps d’armée au service des Perses. L’empire perse ayant conquis l’Egypte au 5ème siècle avant notre ère. A l’époque, il n’y a pas encore de Torah, même si on retrouve des traditions orales liées à l’Ancien Testament. L’origine de cette communauté juive remonterait à l’histoire d’Israël du Nord au moment où ce royaume est conquis par la suprématie assyrienne à la fin du 8ème siècle av JC (2R17, 24-41). Avec la chute du royaume d’Israël en 732 av JC, les Assyriens ont déporté des Israélites et importé des populations étrangères dans l’Israël du nord. Autour de 600 av JC, de nombreuses populations fuient la menace babylonienne, depuis Palmyre pour l’Egypte. Idem pour des Judéens qui s’installent en Haute Egypte, à Eléphantine. A noter que Jérémie dénonce la pratique des Judéens qui continuent à honorer d’autres divinités. Pratique religieuse contraire à celle prônée par le Deutéronome.

Le temple d’Eléphantine fut construit au début du 6ème siècle av JC, un temple plus ancien que le second temple de Jérusalem et celui de Samarie. Au 5ème siècle, il y avait donc trois temples pour le service de Yhwh ou de Yaho. On est loin du Deutéronome exigeant qu’il y ait un seul lieu de culte. Pendant plus d’un siècle, la communauté d’Eléphantine a vécu en bonne entente avec les habitants du pays. Le temple de Yaho jouxtait le temple de Khnoum, dieu égyptien.

La communauté d’Eléphantine n’est ni reliée ni dépendante de la Judée ou de la Samarie. Le yahwisme éléphantin a été souvent caractérisé comme une déviance par rapport à la religion de Jérusalem, il convient d’être plus nuancé. Yaho apparaît comme le centre du culte éléphantin et la divinité suprême. L’universalité de Yaho est inclusive puisque d’autres divinités participent à sa gloire, tel Baal le bénissant. C’est la raison pour laquelle, la recherche estime que le judaïsme lié à la Torah et au temple de Jérusalem ne s’impose que plus tardivement à la fin du 1er millénaire, à la période grecque au 3ème siècle av JC. La période perse a donc été le temps d’une construction identitaire plurielle parmi les différentes communautés juives de Judée, de Babylone, de Samarie, d’Egypte et d’ailleurs.

C’est pourquoi, à Eléphantine, il était possible : D’être juif, universaliste et polythéiste ; D’être juif et d’avoir son propre temple indépendant loin de Jérusalem ; D’être juif et d’épouser des femmes égyptiennes et d’avoir des enfants juifs ; D’être juif tout en n’ayant pas la Torah comme référence.   

En conclusion, il a existé, aux côtés d’un yahwiste monothéiste et aniconique, un yahwisme universaliste inclusif, laissant place comme à Eléphantine, à une autre pratique cultuelle.

Théologie de l’intégration dans le cycle de Joseph (Gn41-45) 

Le cycle de Joseph, écrit pendant la période postexilique, raconte l’intégration d’un jeune étranger israélite dans l’Egypte pharaonique. L’universalité des songes semble aller de soi. Le pharaon, Joseph et ses codétenus sont le sujet de rêves. Le songe, en traversant les différences sociales et ethniques, dit déjà l’universalité et la démocratisation de ce moyen de communication au monde. Le récit met-il en évidence la supériorité de la sagesse israélite au regard de la sagesse égyptienne ? Joseph indique tout de suite qu’il n’est pas responsable de l’interprétation, mais qu’elle provient de Dieu. Joseph se met en retrait, cela permet un lien direct entre le pharaon et Dieu. Cela indique l’empathie de Dieu qui se préoccupe du bonheur de l’Egypte. Les Egyptiens peuvent ainsi être au bénéfice de la même sagesse qu’Israël, de la même parole divine. Joseph ne fait que mettre en récit, reformuler le souci de Dieu pour l’Egypte qui a besoin d’Israël. De fait le projet divin de salut passe donc par le salut de l’Egypte. Mais Israël a aussi besoin de l’Egypte. Il y a donc réciprocité.

Les sept années d’abondance font de l’Egypte un pays de satiété. L’Egypte devient un nouvel Israël. L’acceptation du projet divin par le pharaon met en scène sa sagesse. Cette reconnaissance de Dieu par le pharaon avec Joseph fait implicitement de l’Egypte un pays d’Elohîm, un autre Israël. Ce qui légitime la présence juive dans ce pays. Joseph recevra un nom égyptien. Il devient égyptien. L’intégration de Joseph se poursuit par son mariage avec une femme égyptienne. Selon Gn41, ce n’est pas interdit et la loi du Dt 7,3 ne s’y applique pas. L’Egypte, terre de salut pour Israël, devient un lieu de cohabitation religieuse.

Joseph aura deux fils, Manassé et Ephraïm. L’Egypte est le berceau d’Israël. Si Moïse fait sortir les hébreux d’Egypte pour leur salut, à l’inverse, Joseph est celui qui fonde l’avenir d’Israël en Egypte, avec la venue de la famille affamée de Jacob (Gn45).

Surviennent, sur toute la terre, les sept années de famine annoncées par Joseph. La famine est mondiale, sauf en Egypte. L’avenir de la terre et d’Israël se joue en Egypte. En ouvrant leurs entrepôts, Joseph fait de l’Egypte le grenier à blé du monde. Il y a une universalité de la bonté divine.

A l’opposé de Noé qui avait construit une arche pour la destruction du monde, Joseph construit des entrepôts pour le salut de la terre entière. Autrement dit, le bien-vivre de la diaspora juive en Egypte est manifeste. Gn41 contraste donc avec la future sortie d’Egypte devenue un lieu d’oppression. 

Cette histoire de la Genèse a canonisé l’idée que le Dieu d’Israël peut être le Dieu des autres : Israël partage son élection. Cette histoire canonise l’amour de Dieu et d’Israël pour les Egyptiens. Et réciproquement. Israël a aimé ses ennemis ! »

Dany Nocquet